Pomponius Mela

(Geographus Hispanus, I s.)

De chorographia, liber II

[ Francogallica conversio / traduction française ]

[ Commentarium / commentaire ]

75. Ultra est Leucata litoris nomen et Salsulae fons, non dulcibus aquis defluens sed salsioribus etiam quam marinae sunt; iuxta campus minuta harundine gracilique perviridis, ceterum stagno subeunte suspensus. Id manifestat media pars eius quae abscissa proximis velut insula natat, pellique se atque adtrahi patitur.

76. Quin et ex his quae ad imum perfossa sunt suffusum mare ostenditur. Unde Grais nostrisque etiam auctoribus, verine ignorantia an prudentibus etiam mendacii lubidine visum est tradere posteris, in ea regione piscem e terra penitus erui, quod ubi ex alto hucusque penetravit per ea foramina ictu captantium interfectus extrahitur. Inde est ora Sordonum et parva flumina Telis et Ticis, ubi adcrevere persaeva, colonia Ruscino, vicus Eliberrae, magnae quondam urbis et magnarum opum tenue vestigium. Tum inter Pyrenaei promunturia Portus Veneris in sinu salso et Cervaria locus Galliae finis.

77. Pyrenaeus primo hinc in Britannicum procurrit oceanum; tum in terras fronte conversus Hispaniam inrumpit, et minore parte eius ad dexteram exclusa trahit perpetua latera continuus, donec per omnem provinciam longo limite inmissus in ea litora quae occidenti sunt adversa perveniat.

 

Francogallica conversio / traduction française :

75. "A partir de là, c'est Leucate – tel est le nom du rivage – et la source de Salses, qui ne donne pas des eaux douces mais des eaux plus salées que celles de la mer ; tout près une zone plane toujours verte, du fait de ses frêles petits roseaux, mais envahie par l'étang qu'elle surplombe. On le voit bien à sa partie médiane qui, tout en étant séparée des rives toutes proches, flotte comme une île et subit un mouvement de poussée et d'attraction.

76. Mieux encore, on voit aussi par les trous qui s'enfoncent vers ses profondeurs que la mer a envahi cet étang par-dessous. C'est pourquoi, il a paru bon aux auteurs grecs et même aux nôtres – est-ce par ignorance de la vérité ou bien même par désir délibéré de mentir ? – de raconter à la postérité que dans cette région, le poisson est tiré des entrailles de la terre, parce qu'une fois parvenu de la haute mer jusque là, c'est par ces trous qu'il est harponné par les pêcheurs et tiré hors de l'eau. A partir de là, on trouve le rivage des Sordons, les petites rivières de la Têt (Telis = Tetis) et du Tech, redoutables quand elles sont en crue, la colonie de Ruscino, le village d'Illibéris (Elne), modeste vestige d'une ville qui fut grande et influente (ou : riche) autrefois. Puis, entre les caps des Pyrénées, Port-Vendres (le Port-de-Vénus), situé dans une anse de la mer, et Cerbère, le lieu où la Gaule prend fin.

77. C'est à partir de cet endroit-ci que la chaîne des Pyrénées commence à s'étendre jusqu'à l'océan des Bretons ; le flanc qu'elle tourne alors vers le continent déborde sur l'Hispanie et, tandis que le massif qu'elle repousse sur sa droite est moins large, elle déploie sur toute sa longueur des flancs qui n'ont pas d'interruption jusqu'à ce que, s'étendant comme une longue frontière à travers toute la province, elle parvienne aux rivages qui regardent l'occident.

(Conversio O.Rimbault)

 

Commentarium / commentaire :

Illa descriptio acutissima et verissima omnium et antiquorum scriptorum est : Cum enim Avienus, IV° saeculo, prisca vocabula priscique aevi imagines petat, Plinius Major autem, I° saeculo, nimis brevem descriptionem componat, Pomponius Mela regionem nostram ubi a Romanis administrabatur acutius delineat : rerum naturae adspectum, duo maxima illius temporis oppida, duo flumina quorum vera nomina primus enuntiat, Galliarumque Romanarum finem. Praeterea hoc imprimis delectantem eius descriptionem facit quod scriptor, miris rebus libenter traditis, verum a falso distinguere conatus est.

Cette description est la plus précise et la plus véridique de tous les textes de l'Antiquité : en effet, alors qu'Avienus, au IVe siècle, privilégie les images et les termes archaïsants, et que Pline l'Ancien, au Ier siècle, fait une description trop sommaire, Pomponius Mela donne assez soigneusement les grandes lignes de notre région au temps où elle était adminis-trée par les Romains : les paysages naturels, les deux villes principales de ce temps-là, les deux fleuves dont il donne le premier les noms corrects, et la limite des Gaules romaines. En outre, le fait que l'écrivain s'efforce de distinguer le vrai du faux, dans une tradition volontiers merveilleuse, rend sa description particulièrement intéressante.

 

 

(Bibliographia : Le Pays Catalan, t.I, p.75, sous la direction de Jean Sagnes, de l'Université de Perpignan, avec J.Abelanet, E.Frenay, A.Marcet-Juncosa, P.Ponsich, 1983)