Eutropius

(historiarum scriptor, IV s.exeunte)

Breviarium ab Urbe condita, liber X, cap.IX

[ Francogallica conversio / traduction française ]

[ Commentarium / commentaire ]

 

[De Constante, uno e Constantini filiis, anno 350 Helenae sive Illiberi interfecto]

9. Is [= Constantinus] successores filios tres reliquit atque unum fratris filium. Verum Dalmatius Caesar prosperrima indole neque patruo absimilis haud multo post oppressus est factione militari et Constantio, patrueli suo, sinente potius quam iubente. Constantinum porro bellum fratri inferentem et apud Aquileiam inconsultius proelium adgressum Constantis duces interemerunt. Ita res publica ad duos Augustos redacta. Constantis imperium strenuum aliquamdiu et iustum fuit. Mox cum et valetudine inprospera et amicis pravioribus uteretur, ad gravia vitia conversus, cum intolerabilis provincialibus, militi iniucundus esset, factione Magnentii occisus est. Obiit haud longe ab Hispaniis in castro, cui Helenae nomen est, anno imperii septimo decimo, aetatis tricesimo, rebus tamen plurimis strenue in militia gestis exercituique per omne vitae tempus sine gravi crudelitate terribilis.

 

Francogallica conversio / traduction française :

[La mort de Constant, l'un des fils de Constantin, à Helena (Elne) en 350]

9. (Constantin) laissa pour lui succéder trois fils et un fils de son frère. Mais (celui-ci) le César Dalmace, qui était doué d'un très heureux caractère et ressemblait à son oncle paternel, fut peu de temps après éliminé par une faction armée, que Constance (II), son cousin germain, laissa agir plus qu'il ne la dirigea. Par la suite, Constantin (II), qui portait la guerre contre son frère et avait attaqué trop imprudemment près d'Aquilée, fut tué par les généraux de Constant. C'est ainsi que la direction de l'Empire fut réduite aux pouvoirs de deux Augustes. Le règne de Constant avait été pendant un certain temps énergique et juste. Mais bientôt, tombé dans de graves travers, devenu insupportable aux habitants de ses provinces et peu apprécié des soldats (à cause d'une mauvaise santé et de trop mauvaises fréquentations), il fut éliminé par le parti de Magnence. Il mourut non loin des Hispanies, dans une place forte du nom d'Hélène [Elne], la 17ème année de son règne, à l'âge de trente ans, après avoir été pourtant extrêmement actif et énergique dans ses campagnes militaires, et craint par son armée durant toute la durée de sa vie sans avoir jamais eu recours à de graves cruautés.

(Conversio O.Rimbault)

 

Commentarium / commentaire :

Illa traditio, quam Zosimus, Graecus Historiarum scriptor, V° saeculo confirmavit, nobis patefacit etiam res graviores Rei publicae in regione nostra, extrema Narbonensi, gestas esse ! Quae ut bene intellegantur, schema utilius clariusque erit quam multa verba :

Constantinus (Magnus)

- unicus Augustus, obiit 22° m.Maii a.337 –

"successores filios tres reliquit" :

Cette version des faits que l'historien grec Zosime a confirmé au Ve siècle nous révèle même que des événements politiques assez importants se sont déroulés dans notre région, à l'extrémité de la Narbonnaise ! Pour bien les comprendre, un schéma sera plus pratique et plus clair qu'un long développement :

Constantin (le Grand)

- unique Empereur, mort le 22 mai 337 –

"laissa pour lui succéder trois fils" :

Maximus natu / l'aîné :

Constantinus II

Vulgo : Constantin II

(Caesar a.317)

Secundus natu / le second :

Constantius II

Constance II

(Caesar a.324)

Minimus natu / le cadet :

Constans

Constant

(Caesar a.335)

Nono die m.Sept.a.337, illi tres se Augustos declaraverunt, omnibus adsociatis (e.g. Dalmatio Caesare) necatis – exceptis duobus natuque minoribus patruelibus, nomine Gallo et Iuliano, futuro "Apostata". Ita imperium inter se partiti sunt :

Le 9 septembre 337, ces trois hommes se proclamèrent Augustes, tous leurs associés (par exemple le César Dalmace) ayant été éliminés, à l'exception de deux cousins germains, Gallus et Julien, le futur "Apostat". Ils se partagèrent le pouvoir de cette manière :

Constantinus II

imperator a 337 ad 340

in occidentalibus provinciis

 

 

Constantin II

empereur de 337 à 340

dans les provinces occidentales

Constantius II

imperator a 337 ad 361

in Aegypto, Asia, Thracia

 

 

Constance II

empereur de 337 à 361

en Egypte, Asie et Thrace

Constans

imperator a 337 ad 350

in Africa, Italia, relinquo Illyrico

et in occidentalibus provinciis (340)

cum "Constantinum…apud Aquileiam Constantis duces interemerunt" .

Constant

empereur de 337 à 350

en Afrique, Italie, dans le reste de l'Illyrie, et les provinces occidentales à partir de 340 quand "Constantin (II) (…), près d'Aquilée, fut tué par les généraux de Constant."

Sed Constans ipse anno 350 "factione Magnentii occisus est". Tandem Magnentius, Germanus usurpator, vice sua anno 351 a Constantio, qui solus Constantini filius supererat, vincetur. Ita Constantius II suam sub unicam auctoritatem imperium Romanum redegit, Gallo atque Iuliano utroque Caesare nominato.

De Constantis morte, quidam Byzantinus scriptor XII saeculi, nomine Iohannes Zonaras, qui antiquis fontibus usus est ad breviarium totius historiae componendum, duas traditiones narrat : secundum primam, Constans, una cum comitibus apud Rhodanum flumen dormiens, ab hominibus quos Magnentius praemiserat inopinato interfectus est. Secundum vero alteram et veri similiorem traditionem (ab Eutropio et Zosimo confertam), "in parva urbe Helena appellata" (imperatricis nomine) necatus est, postquam ab omnibus solus derelictus erat et "in quoddam templum (Graece "naos") refugium petiverat". Cum ibi imperii insignia deposuisset, eum Magnentiani extra traxerunt ut interfieret. "Michel Chalon, illos textus inter quoddam seminarium de Ruscinone anno 1975 conventum explicando, adnotavit traditionem de imperatore ab omnibus derelicto et usque ad Pyreneos fugiente veri similiorem esse. Praeterea ille vir doctus in Iohannis Zonaras verbis primam cuiusdam ecclesiae christianae et in hac regione sitae mentionem reperit ; haec enim est domini Chalon argumentatio : primum intellegendum est Helenam vicum ubi Constans mortem invenit non apud Rhodanum sed apud Pyreneos montes, sicut Zosimus et Eutropius clare tradiderunt, fuisse. Deinde illud "templum" ("naos" in textu) ubi se sacrum refugium inventurum esse speravit videlicet ecclesia fuit. Nam hac voce in hunc sensum Iohannes Zonaras uti solet ac Constans christianus erat : eum sanctus Athanasius et "Christi amicum, cui etiam martyrii titulum meruit" appellavit. Ergo illa pauca et usque XII s. tradita verba brevissime sed vero clare testantur quamdam ecclesiam in Rossilione iam anno 350 exstructam esse. Hoc sit ponderis testimonium cum archeologia in regione nostra nondum tam vetera cuiusdam christiani aedificii vestigia efoderit, quod sciamus.

De Helenae "Castro" (Elne), haec pauca addenda sunt : post primas barbarorum invasiones in Gallias, III° saeculo, ac Gallo-Romanorum rebelliones secessionesve eiusdem funesti temporis, Ruscino obruta et destructa civitas videtur : nam orientales Pyreneorum fauces (Le Perthus) Franci anno 263 aut 264 primi transiverunt, ac paulo post et Alamani anno 276, plerisque secundum Domitiam viam civitatibus expugnatis et incensis. Pacem vero Romanam in Provinciis III° s. exeunte restituerunt imperatores, imprimisque Diocletianus et Constantinus. Quo auctore, regio nostra, finis inter Gallias et Hispanias, multis castris munita est : in illis ipsis faucibus, iam Clausuris appellatis (hodie Les Cluses), Caucoliberi (Collioure), Vulturariae in Albera (hodie Ultraria), Illiberi denique, prisco in oppido quod novum nomen tunc accepit, nomine Flavae Iuliae Helenae matris Constantini. Etenim Castrum Helenae (Elne) tunc regionis caput factum esse videtur.

Mais Constant lui-même, en 350, "fut éliminé par le parti de Magnence." Enfin, Magnence, l'usurpateur germain, sera vaincu à son tour en 351 par Constance, le seul survivant des fils de Constantin. C'est ainsi que Constance II réunifia l'Empire romain sous une autorité unique, en nommant Gallus et Julien César l'un et l'autre.

Sur la mort de Constant, un écrivain byzantin du XIIe siècle, Jean Zonaras, qui utilisa des sources antiques pour composer son "Abrégé d'histoire universelle", donne deux traditions : selon la première, Constant, qui dormait avec ses compagnons près du Rhône, est assassiné sans qu'on s'y attende par des hommes que Magnence avait envoyés. Mais selon l'autre tradition, la plus vraisemblable (celle qui avait été rapportée par Eutrope et Zosime), il fut tué "dans une petite ville appelée Helena" (du nom de l'impératrice), après que les siens l'eurent abandonné et "qu'il eut trouvé refuge dans un temple (en grec naos)". Là, comme il s'était dépouillé des insignes du pouvoir impérial, les hommes de Magnence le traînèrent à l'extérieur pour le tuer. Michel Chalon, en analysant ces textes lors du colloque de 1975 consacré à Ruscino, fit remarquer que la version qui montre l'empereur abandonné de tous et fuyant jusqu'aux Pyrénées est la plus vraisemblable. De plus, cet érudit voit dans les termes de Jean Zonaras la première mention d'une église chrétienne située dans cette région ; voici en effet l'argumentaire de M. Chalon : il faut d'abord comprendre que le bourg d'Helena où Constant a trouvé la mort n'était pas près du Rhône mais près des Pyrénées, comme Zosime et Eutrope l'ont clairement rapporté. Ensuite ce "temple" (naos dans le texte) où il espéra trouver un refuge sacré était vraisemblablement une église. C'est en effet dans ce sens que Jean Zonaras a coutume d'utiliser ce terme et Constant était chrétien : saint Athanase l'a appelé "ami du Christ, à qui revient même le titre de martyr". Par conséquent, ce bref récit parvenu jusqu'au XIIe siècle est un témoignage furtif mais clair sur l'existence d'une église déjà construite en 350 dans le Roussillon. Ce serait un témoignage important puisque l'archéologie dans notre région n'a pas encore révélé de traces aussi anciennes d'un édifice chrétien.

Au sujet de la place forte d'Helena (Elne), il faut ajouter les détails suivants : après les premières invasions barbares en Gaule, au IIIe siècle, et les révoltes ou les sécessions des Gallo-Romains de cette triste époque, la cité de Ruscino semble avoir été complètement détruite : en effet les Francs traversèrent les premiers les cols orientaux des Pyrénées (Le Perthus) en l'an 263 ou 264, et les Alamans les suivirent peu après, en l'an 276, non sans avoir pris et incendié la plupart des cités qui se trouvaient le long de la Voie Domitienne. A la fin du IIIe siècle, les empereurs ramenè-rent la paix romaine dans toutes les provinces, surtout Dioclétien et Constantin. A l'instiga-tion de ce dernier, notre région, qui délimitaient les Gaules et les Hispanies, fut garnie de fortifications : dans ces fameux cols alors appelés Clausurae (aujourd'hui Les Cluses), à Caucoliberis (Collioure), à Vulturaria dans les Albères (aujourd'hui Ultraria), enfin à Illiberis, une très vieille cité qui reçut alors un nouveau nom, du nom de la mère de Constantin, Flava Julia Helena. Et de fait, il semble que la place forte d'Elne soit devenue alors la ville principale de la région.

 

(Bibliographia : Le Pays Catalan, t.I, sous la direction de Jean Sagnes, de l'Université de Perpignan, avec J.Abelanet, E.Frenay, A.Marcet-Juncosa, P.Ponsich, 1983, p.134 ; Rome et son empire, M.Christol et D.Nony, Hachette supérieur, 1990, p.230)