IX. MONITA PAEDAGOGICA

LECONS DE SAVOIR-VIVRE

(in integro)

PAEDAGOGUS,  PUER. (*)

Pae.  Tu mihi videre non in aula natus, sed in caula (**), adeo moribus es agrestibus. Puerum ingenuum decent ingenui mores.

Quoties alloquitur te quispiam, cui debes honorem, compone te in rectum corporis statum, aperi caput. Vultus sit nec tristis, nec torvus, nec impudens, nec protervus, nec instabilis, sed hilari modestia temperatus: oculi verecundi, semper intenti in eum, cui loqueris: iuncti pedes, quietae manus.

Nec vacilles alternis tibiis, nec sint gesticulosae manus, nec mordeto labrum, nec scabito caput, nec fodito aures.

Vestis item ad decorum componatur, ut totus cultus, vultus, gestus et habitus corporis ingenuam modestiam et verecundam indolem prae se ferat.

Pu.    Quid si mediter?

Pae.  Fac.

Pu.    Siccine satis?

Pae.  Nondum.

Pu.    Quid si sic?

Pae.  Propemodum.

Pu.    Quid si sic?

Pae.  Hem satis est; isthuc tene, ne sis inepte loquax aut praeceps. Nec vagetur animus interim, sed sis attentus, quid ille dicat. Si quid erit respondendum, id facito paucis ac prudenter, subinde praefatus honorem, nonnunquam et addito cognomento, honoris gratia: atque identidem modice flectas alterum genu, praesertim ubi responsum absolveris. Nec abeas, nisi praefatus veniam, aut ab ipso dimissus.

Nunc age, specimen aliquod huius rei nobis praebe. Quantum temporis abfuisti a maternis aedibus?

Pu.    Iam sex ferme menses.

Pae.  Addendum erat, domine.

Pu.    Iam sex ferme menses, domine.

Pae.  Non tangeris desiderio matris?

Pu.    Nonnunquam sane.

Pae.  Cupis eam revisere?

Pu.    Cupio, domine, si id pace liceat tua.

Pae.  Nunc flectendum erat genu. Bene habet. Sic pergito.

Cum loqueris, cave ne praecipites sermonem, aut haesites lingua, aut palato immurmures, sed distincte, clare, articulate consuescito proferre verba tua.

Si quem praeteribis natu grandem, magistratum, sacerdotem, doctorem, aut alioqui virum gravem, memento aperire caput, nec pigeat inflectere genu.

Itidem facito, cum praeteribis aedem sacram, aut imaginem crucis.

In convivio sic te praebebis hilarem, ut semper memineris, quid deceat aetatem tuam: postremus omnium admoveto manum patinae. Si quid datur lautius, recusato modeste: si instabitur, accipe, et age gratias: mox decerpta portiuncula, quod reliquum est, illi reddito, aut alicui proxime accumbenti.

Si quis praebibet, hilariter illi bene precator (1), sed ipse bibito modice. Si non sitis, tamen admoveto cyathum labiis. Arride loquentibus: ipse ne quid loquaris, nisi rogatus. Si quid obscoeni dicetur, ne arride, sed compone vultum, quasi non intelligas.

Ne cui obtrectato, ne cui temet anteponito, ne tua iactato, ne aliena despicito. Esto comis, etiam erga tenuis fortunae sodales. Neminem deferto. Ne sis lingua futili. Ita fiet, ut sine invidia laudem invenias, et amicos pares. Si videris, convivium esse prolixius, precatus veniam, ac salutatis convivis, subducito te a mensa.

Vide, ut horum memineris.

Pu.    Dabitur opera, mi praeceptor. Numquid aliud vis?

Pae.  Adito nunc libros tuos.

Pu.    Fiet.

 

NOTAE :

(*) Haec monita ab Erasmo m.Marte a.1522 composita sunt. Sed eadem atque alia anno 1530 multo copiosius ornatiusque in non minus famoso libello de civilitate morum puerilium explicabuntur (Reed.La Lettre volée à la Maison d'Erasme, Bruxelles, 1999).

(**) Ut solet, verbis ludit Erasmus (aula-caula). Ad hoc adoptavit singularem numerum huius verbi caula quod non nisi plurali (caulae, arum) usitatur.

 

Pae.  Tu n'es pas, il me semble, né à la Cour, mais dans une bergerie (**), tellement tes manières sont rustiques. Un enfant bien né se doit d'avoir des manières distinguées.

Toutes les fois que quelqu'un, à qui tu dois le respect, t'adresse la parole, tiens-toi droit et découvre-toi. N'aie pas un air triste, ni torve, ni effronté, ni arrogant, ni mobile, mais empreint d'une aimable modestie. Que ton regard soit respectueux et constamment tourné vers celui à qui tu parles, les pieds rapprochés et les mains tranquilles.

Ne te balance pas d'une jambe sur l'autre, et ne laisse pas tes mains gesticuler, ne te mords pas la lèvre, ne te gratte pas la tête et ne te cure pas les oreilles.

De même, donne un aspect correct à ton habit, de sorte que le soin mis dans toute ta person-ne, ton visage, tes gestes et ton maintien révèlent une modestie naturelle et un caractère respectueux.

Pu.    Et si je m'y entraînais ?

Pae.  Vas-y.

Pu.    Est-ce suffisant, comme cela ?

Pae.  Pas encore.

Pu.    Et comme cela ?

Pae.  Presque.

Pu.    Et comme cela ?

Pae.  Bien, cela suffit ; tiens-t'en là, pour que tu ne sois pas sottement bavard ou précipité. Ne sois pas non plus distrait pendant qu'on te parle, mais attentif à ce qu'on te dit. Si tu as à répondre, réponds en peu de mots et de manière réfléchie, en employant de suite après un terme respectueux et même en ajoutant parfois un titre honorifique : et de la même manière, tu dois légèrement fléchir l'un des deux genoux, surtout quand tu as fini ta réponse. Ne pars pas sans en avoir demandé la faveur ou sans avoir été congédié.

Maintenant, allons : fais-moi une démonstra-tion de cela. Depuis combien de temps as-tu quitté la maison de ta maman ?

Pu.    Depuis près de six mois déjà.

Pae.  Il fallait ajouter : "monsieur".

Pu.    Depuis près de six mois déjà, monsieur.

Pae.  Ne languissez-vous pas après votre maman ?

Pu.    De temps en temps bien sûr.

Pae.  Désires-tu la revoir ?

Pu.    Oh oui, monsieur, avec votre permis-sion.

Pae.  Maintenant il fallait fléchir le genou. C'est bien : continue comme cela.

Lorsque tu parles, prends-y garde, ne parle pas précipitamment, ou ne bégaye pas, ou ne parle pas dans ta barbe, mais prends l'habitude de prononcer tes paroles distinctement, claire-ment, en articulant bien.

Si tu passes devant une personne avancée en âge, ou un magistrat, un prêtre, un docteur ou quelqu'un d'important d'une quelque autre manière, n'oublie pas de te découvrir et ne sois pas chagriné de fléchir le genou.

Fais de même quand tu passes devant un édifice religieux ou devant une croix.

A table, montre-toi gai, mais pourvu que tu te souviennes toujours de la réserve qui convient à ton âge : mets la main au plat après tous les autres. Si quelqu'un te donne un trop beau morceau, refuse modestement ; si la personne insiste, accepte-le et remercie-la. Ayant pris ta part, donne bien vite le reste à cette personne ou à celui qui est assis à tes côtés.

Si quelqu'un porte un toast, fais-lui gaîment tes vœux, mais toi-même bois très peu. Si tu n'as pas soif, porte tout de même le verre à tes lèvres. Souris à ceux qui te parlent : toi-même ne parle que si l'on t'interroge. Si l'on profère quelque obscénité, ne souris pas, mais donne-toi l'air de celui qui ne comprend pas. (1) Precator : impératif futur déponent (très rare).

Ne rabaisse personne, ne t'estime pas plus qu'un autre, ne sois pas vantard, ne méprise pas les autres. Sois affable, même pour tes camarades peu fortunés. N'accuse personne. N'emploie pas ta langue pour ne rien dire. C'est ainsi qu'il arrivera que, sans susciter la jalousie, tu récolteras des éloges et que tu te feras des amis. Si tu as l'impression que le repas dure trop longtemps, après en avoir demandé la permission et après avoir salué les convives, quitte la table.

Fais en sorte de te souvenir de tout cela.

Pu.    J'y veillerai, mon cher maître. Désirez-vous autre chose ?

Pae.  Mets-toi maintenant à tes livres.

Pu.    Bien.

 

NOTES :

(*) Ces conseils ont été rédigés par Erasme au mois de mars 1522. Mais ils seront développés plus abondamment et élégamment en 1530 dans le non moins célèbre opuscule De la civilité puérile (réédité par La Lettre volée à la Maison d'Erasme, Bruxelles, 1999).

(**) Comme à son habitude, Erasme fait un jeu de mots (aula-caula). Il adopte pour cela le singulier du mot "caula" qui n'est jamais employé qu'au pluriel ("caulae, arum").