VIII. HERILIA IUSSA

LES ORDRES DU MAÎTRE

(in integro)

Herilia.Ordres du maître au lever du jour.

RABINUS (herus),  SYRUS (famulus).

Ra.   Heus, heus furcifer, iamdudum raucesco clamore, nec tu tamen expergisceris: videre mihi vel cum gliribus certare posse. Aut ocius surge, aut ego tibi fuste somnum istum excutiam. Quando crapulam hesternam edormieris? Non te pudet, somnium hominis, in multam lucem stertere? Qui frugi sunt famuli, solent exortum solis antevertere, curareque, ut herus surgens reperiat omnia parata. Ut aegre divellitur a nido tepefacto cuculus! Dum scalpit caput, dum distendit nervos, dum oscitat, tota abit hora.

Sy.    Vixdum diluxit.

Ra.   Credo; tibi. Nam tuis oculis adhuc multa nox est. Tibi nox adhuc est concubia.

Sy.    Quid me iubes facere?

Ra.   Fac, ut luceat foculus: verre pileum ac pallium: exterge calceos et crepidas. Inversas caligas primum intus purga scopis, mox foris. Deinde suffitum aliquem facito purgando aëri. Accende lucernam. Muta mihi lineum indusium, ac ad ignem fumi expertem sicca lotum.

Sy.    Fiet.

Ra.   Atqui move te ocius. Iam haec fecisse oportuit.

Sy.    Moveo.

Ra.   Video; sed nihil promoves. Ut incedit testudo!

Sy.    Non possum simul sorbere et flare.

Ra.   Etiam sententias loqueris, carnifex? Tolle matulam. Compone lecti stragulas, revolve cortinas. Verre pavimentum. Verre solum cubiculi. Adfer aquam lavandis manibus. Quid cessas, asine? Annus est, priusquam accendas candelam.

Sy.    Vix reperio scintillam ignis.

Ra.   Sic heri condidisti.

Sy.    Nec follem habeo.

Ra.   Ut responsat nebulo! quasi qui te habeat, careat folle.

Sy.    Quam imperiosum habeo dominum! vix huius iussis decem expediti famuli fecerint satis.

Ra.   Quid ais, cessator?

Sy.    Nihil; omnia recte.

Ra.   Non ego te audio murmurantem?

Sy.    Equidem precor.

Ra.   Credo, Pater noster inversum. Precationem, opinor, dominicam praepostere. Quid gannis de imperio?

Sy.    Precor tibi, ut fias imperator.

Ra.   Et ego tibi, ut fias homo ex caudice. Sequere me ad templum usque. Mox domum recurrito, lectos concinnato. Haec confusa, suo quaeque loco digerito. Fac, ut niteat tota domus. Matulam defricato. Haec sordida submoveto ab oculis; fortassis invisent me quidam aulici. Si quid sensero praetermissum, vapulabis largiter.

Sy.    Hic sane novi benignitatem tuam.

Ra.   Proinde cave, si sapis.

Sy.    At interim de prandio nulla mentio.

Ra.   Vah, ut hic mentem habet furcifer! Non prandeo domi. Itaque sub horam decimam ad me transcurrito, adducturus me eo, ubi sum pransurus.

Sy.    Tibi quidem prospectum, sed hic interim nihil est, quod edam.

Ra.   Si non est quod edas, est quod esurias.

Sy.    Nemo fit esuriendo satur.

Ra.   Est panis.

Sy.    Est, sed ater et furfuraceus.

Ra.   Delicias hominis! Te quidem foenum esse oportuit, si pabulum detur te dignum. An postulas, ut te asinum tantum placentis saginem? Si fastidis panem citra obsonium, adde porrum, aut, si mavis, cepe.  

 

RABINUS (le maître),  SYRUS (le valet).

Ra.   Holà, pendard ! Il y a une heure que je m'enroue à force de crier et cependant tu ne te réveilles pas. Il me semble que tu (videre = videris) peux, pour le sommeil, concourir même avec les loirs. Lève-toi plus vite que cela, sinon je te sortirai de ton sommeil avec le bâton. Quand auras-tu fini de cuver ton vin d'hier ? N'as-tu pas honte, fantôme d'homme, de ronfler en plein jour? Les bons serviteurs ont l'habitude de devancer le soleil levant et de veiller à ce que leur maître trouve tout prêt quand il se lève. Que ce coucou a donc de peine à sortir de la tiédeur de son lit ! Pendant qu'il se gratte la tête, qu'il s'étire ,et qu'il baille, une heure toute entière se passe.

Sy.    Il fait à peine jour.

Ra.   Oui, pour toi ; car tes yeux sont encore en pleine nuit. Pour toi il n'est encore que minuit.

Sy.    Que m'ordonnez-vous de faire ?

Ra.   Fais flamber le feu ; brosse ma toque et mon manteau ; nettoie mes souliers et mes sandales. Ote les saletés qu'il y a dans mes brodequins, en les tenant la semelle en l'air et nettoies-en le dehors. Fais ensuite quelque fumigation pour purifier l'air. Allume la lampe. Change-moi ma chemise de lin, et fais sécher la propre devant un feu qui ne fume pas.

Sy.    Soit.

Ra.   Et puis, remue-toi plus vite. Tout cela aurait dû déjà être fait. (Cf Sauzy, § 346).

Sy.    Je me remue.

Ra.   Je vois ; mais tu ne bouges pas d'un pouce. Comme elle va , cette tortue !

Sy.    Je ne peux pas en même temps avaler et souffler.

Ra.   Voilà des proverbes à présent, pendard ! Enlève le vase de nuit. Arrange les couvertures du lit. Tire les grands rideaux. Balaie les pavés. Balaie la chambre. Apporte de l'eau, que je me lave les mains. Pourquoi t'arrêtes-tu, espèce d'âne! Il te faut une année pour allumer la chandelle.

Sy.   Je trouve à peine une étincelle dans le feu.

Ra.  C'est qu'hier tu l'as mal couvert.

Sy.   Et je n'ai pas de soufflet.

Ra.  Voilà comment il répond, ce vaurien. Comme si, quand on te possède, on manquait de soufflet.

Sy.    Quel maître impérieux ! C'est à peine si dix valets actifs pourraient suffire à tout ce qu'il commande !

Ra.   Que dis-tu paresseux ?

Sy.    Rien ; tout va bien.

Ra.   Es-ce que je ne t'entends pas murmurer ?

Sy.    C'est que je prie.

Ra.   C'est ça, un Notre Père à l'envers. La prière du dimanche à l'envers, j'imagine. Qu'est-ce que tu jappes : n'ai-je pas entendu le mot "impérieux" ? (En latin "imperium", ordre).

Sy.    Je prie pour que vous deveniez "empereur".

Ra.   Et moi je prie pour que d'une bûche que tu es tu deviennes un homme. Suis-moi jusqu'à l'église. Rentre bien vite à la maison. Fais les lits. Toutes ces choses en désordre, mets-les bien à leur place. Fais en sorte que toute la maison reluise ! Nettoie le pot de chambre. Enlève ces saletés, qu'on ne les voie pas. Peut-être des gens de la cour viendront-ils me rendre visite. Si je trouve quelque chose d'oublié, tu seras copieusement rossé.

Sy.   Je reconnais bien là votre générosité.

Ra.   Fais donc attention, si tu as de la sagesse.

Sy.    En attendant, vous ne dites pas un mot du déjeuner.

Ra.  Voyez comme il pense à cela, le pendard! Je ne déjeune pas chez moi. Viens donc me chercher vers dix heures, pour me conduire là où je vais déjeuner.

Sy.   C'est arrangé pour vous, mais pendant ce temps-là, je n'ai rien à manger ici.

Ra.  Si tu n'as rien à manger, il y a de quoi te donner faim.

Sy.   La faim ne remplit pas le ventre.

Ra.   Il y a du pain.

Sy.    Oui, mais noir et plein de son.

Ra.   Quel homme délicieux ! C'est du foin que tu devrais manger (esse = edere), si l'on te donnait l'étable dont tu es digne. Ou bien demandes-tu que j'engraisse un âne tel que toi avec des gâteaux ? Si tu en as assez du pain sans assaisonnement, ajoutes-y un poireau, ou un oignon, à ton choix.

Alia ("est tibi abeundum in forum").Commissions.

 

RABINUS (herus),  SYRUS (famulus).

Ra.   Est tibi abeundum in forum.

Sy.    Tam procul?

Ra.   Non sunt nisi sex passus; tibi pigro sunt bis mille. Consulam autem tuae pigritiae. Eadem legatione multa conficies negotia: tu supputa in digitos, ut memineris. Primum deflectes ad vestiarium, ac thoracem undulatum, si iam perfectus est, ab eo recipies. Hic quaeres Cornelium veredarium. Is plerumque est in Cervo; ibi potitat. Rogabis, si quid habet litterarum ad me, et ad quem diem sit profecturus. Deinde convenies mercatorem pannarium: rogabis meis verbis, ne quid sollicitus sit, quod pecuniam non miserim ad diem praescriptum; numerabitur propediem.

Sy.    Quando? ad Calendas Graecas?

Ra.   Rides ganeo; immo ante Calendas Martias. In reditu deflectes ad laevam, et ex bibliopolis disces, si quid advectum sit novorum libellorum e Germania. Cognosce qui sint, et quanti venales. Post haec rogabis Goclenium, ut mihi dignetur esse conviva, alioqui coenaturo soli.

Sy.    Etiam convivas vocas? non habes domi, unde vel murem pascas.

Ra.   Proinde tu, confectis ceteris, abi ad macellum, et eme nobis armum ovillum: eum curabis eleganter assum. Audin' haec?

Sy.    Plura quam vellem.

Ra.   At vide, ut memineris.

Sy.    Vix potero dimidium.

Ra.   Etiam hic stas, cessator? Iam redisse oportuit.

Sy.    Quis possit unus tot rebus obeundis sufficere? Deduco ac reduco, sum illi a scopis, a matula, a pedibus, a manibus, a poculis, a libellis, a rationibus, a iurgiis, a legationibus, postremo non videor illi sat occupatus, nisi sim et coquus.  

 

 

Ra.   Il faut que tu ailles jusqu'à la grande place.

Sy.    Si loin ?

Ra.   Elle n'est qu'à six pas d'ici ; pour toi, paresseux, il y en a deux mille. Mais je vais m'occuper de ta paresse. Dans le même voyage tu auras beaucoup à faire : compte donc sur tes doigts pour t'en souvenir. D'abord tu feras un détour pour passer chez mon tailleur et tu lui prendras mon pourpoint de tissu ondulé, s'il est déjà fait. Là, tu te mettras à la recherche de Cornélius le facteur. Il est la plupart du temps au cabaret du Cerf ; c'est là qu'il boit d'ordinaire. Tu lui demanderas s'il a quelque lettre pour moi et quel jour il doit partir. Ensuite, tu iras voir le marchand drapier et tu lui diras de ma part qu'il ne s'inquiète pas si je ne lui ai pas envoyé d'argent au jour convenu ; il sera payé bientôt.

Sy.    Quand ? aux calendes grecques ?

Ra.   Tu ris, pilier de taverne ! Non ! avant les calendes de Mars. En revenant, tu obliqueras vers la gauche et tu demanderas aux libraires s'il est arrivé quelque nouvelle brochures d'Allemagne. Vois ce que c'est et ce qu'elles coûtent. Après cela, tu prieras Goclenius de bien vouloir dîner avec moi qui autrement souperais seul.

Sy.    Il vous faut aussi des convives ? Vous n'avez chez vous pas même de quoi nourrir une souris.

Ra.   Justement, toi, quand les autres commissions auront été faites, va au marché et achète-nous une épaule de mouton : tu auras soin de la faire rôtir convenablement. Entends-tu ?

Sy.    Plus de choses que je ne voudrais.

Ra.   Et fais attention de t'en souvenir.

Sy.    Je pourrai à peine en retenir la moitié.

Ra.   Et tu te tiens encore là, fainéant ? Tu devrais déjà être de retour.

Sy.    Qui pourrait à lui tout seul suffire à tant de consignes ? Je vais d'un côté, de l'autre, je suis chargé du balai, du pot de chambre, des pieds, des mains, des coupes, des livres, des comptes, des reproches, des commissions et pour finir je ne lui parais pas assez occupé si je ne suis pas aussi le cuisinier !

Alia ("equitandum est"). Avant de monter à cheval.

RABINUS (herus),  SYRUS (famulus).

Ra.   Profer ocreas: nam equitandum est.

Sy.    En adsunt.

Ra.   Probe quidem abs te curatae: totae albent situ. Opinor nec extersas, nec unctas hoc anno, adeo rigent prae siccitate. Exterge subuvido panno: mox unge ad ignem diligenter, ac macera, donec mollescant.

Sy.    Curabitur.

Ra.   Ubi calcaria?

Sy.    Adsunt.

Ra.   Verum, sed obducta rubigine. Ubi frenum et ephippium ?

Sy.    Sunt in promptu.

Ra.   Vide, ne quid desit, aut ne quid ruptum, aut mox rumpendum, ne quid nobis sit in mora, cum erimus in cursu. Propera ad sellarium, et hoc lorum cura sarciendum. Reversus inspice soleas sive calceos equorum, num qui clavi desint, aut vacillent. Quam macilenti sunt equi, quamque strigosi! Quoties absterges aut pectis illos in anno?

Sy.    Immo quotidie.

Ra.   Nimirum res ipsa loquitur. Ieiunant, opinor, nonnunquam totum triduum.

Sy.    Minime.

Ra.   Negas tu quidem, sed aliud dicturi sint equi, si loqui liceat: quamquam satis loquuntur ipsa macie.

Sy.    Curo sedulo.

Ra.   Cur igitur tu habitior equis?

Sy.    Quia non pascor foeno.

Ra.   Hoc igitur restat. Adorna manticam celeriter.

Sy.    Fiet.  

 

 

Ra.   Donne-moi mes guêtres car je sois monter à cheval.

Sy.    Les voici.

Ra.   Oui, bien entretenues par toi ! Elles sont toutes blanches de moisissure. Je pense qu'elles n'ont pas été essuyées ni graissées de toute l'année, tellement elles sont raides à cause de leur désiccation. Frotte-les avec un chiffon un peu mouillé ; puis graisse-les devant le feu avec soin, et manie-les jusqu'à ce qu'elles s'amollissent.

Sy.    On y veillera.

Ra.   Où sont les éperons ?

Sy.    Les voici.

Ra.   Oui, mais couverts de rouille. Où sont la bride et la selle ?

Sy.    Les voilà tout de suite.

Ra.   Veille à ce qu'il ne manque rien, à ce qu'il n'y ait rien de rompu ni près de se rompre, à ce que nous n'ayons besoin de rien durant notre tournée. Va bien vite chez le sellier et fais raccommoder cette sangle. Quand tu seras revenu, passe en revue les fers des chevaux, pour voir s'il n'y a pas de clous manquants ou branlants. Qu'ils sont maigres ces chevaux, qu'ils sont décharnés ! Combien de fois par an les laves-tu ou les étrilles-tu ?

Sy.    Mais, tous les jours.

Ra.   La chose parle trop d'elle-même. Je suis sûr que tu les laisses quelquefois jeûner trois jours de suite.

Sy.    Nullement.

Ra.   Tu nies, assurément, mais les chevaux diraient autre chose, s'il leur était permis de parler; quoiqu'ils parlent assez par leur maigreur.

Sy.    Je les soigne avec grand soin.

Ra.   Pourquoi alors as-tu meilleur aspect que les chevaux ?

Sy.    Parce que je ne me nourris pas de foin.

Ra.   C'est donc un fait prouvé. Prépare promptement mon bissac.

Sy.    Ce sera fait.