III. DOMESTICA CONFABULATIO

CAUSERIES SUR LA FAMILLE

 

Alia.Retrouvailles. Discussion sur la famille et les soucis d'un père de famille.

AEGIDIUS,  LEONARDUS.

Ae.  Quo noster Leonardus?

Le.  Ad te ibam.

Ae.  Istud quidem facis insolens.

Le.  Quam ob rem!

Ae.  Quia iam annus est, quod nos non inviseris.

Le.  Malo in hanc peccare partem, ut desiderer, quam ut obtundam.

Ae.  Immo boni amici nulla est apud me satietas. Immo quo crebrius venies, hoc mihi venies gratior.

Le.  Quid interim agitur domi tuae?

Ae.  Multa sane, quae nolim.

Le.  Non miror. Sed iamne peperit uxor?

Ae.  Iamdudum, et quidem gemellos.

Le.  Quid ego audio?

Ae.  Sic res habet: atque illi iam denuo tumet uterus.

Le.  Isthoc pacto solet augeri familia.

Ae.  Sed utinam fortuna sic augeret pecuniam, ut uxor familiam.

Le.  Iamne elocasti filiam?

Ae.  Nondum.

Le.  Vide, ne parum tutum sit, virginem tam grandem detinere domi. Quaerendus est gener aliquis.

Ae.  Nihil opus. Iam proci complures illam ambiunt sponsam.

Le.  Quid igitur superest, nisi ut e multis deligas, qui tibi maxime sit accommodus?

Ae.  Omnes eiusmodi sunt, ut nesciam, quem cui praeferam: sed abhorret a nuptiis filia.

Le.  Quid ais? Atqui, ni fallor, iamdudum nubilis est. Iamdudum est apta viro, matura coniugio. Iampridem est tempestiva viro.

Ae.  Quidni, annum egressa iam decimum septimum? Annum iam agens undevigesimum. Annos nata decem et octo.

Le.  Cur abhorret igitur a matrimonio?

Ae.  Ait, se velle Christo nubere. [...]

Le.  Quid igitur est in animo? Morem geres animo puellae?

Ae.  Quod si pertendet, ut coepit, non pugnabo cum illius animo, ne forte videar yeomaxein vel potius monaxomaxein.

Le.  Religiose tu quidem loqueris. Sed etiam atque etiam fac explores virginis constantiam, ne post facti paeniteat, cum mutare non erit integrum.

 

Ae.  Equidem adnitar pro mea virili.

Le.  Quid rerum gerunt filii?

Ae.  Natu maximus iamdudum maritus est, brevi pater futurus. Minimum ablegavi Lutetiam. Nam hic nihil aliud, quam ludebat.

Le.  Quid eo?

Ae.  Ut Magister nobis redeat stultior, quam exierat.

Le.  Bona verba.

Ae.  Medius iam coepit initiari sacris.

Le.  Precor, ut bene vertat omnibus.  

 

Où va notre cher Léonard ?

- J'allais à toi.

- Ce n'est pas ton habitude.

- Pourquoi cela ?

- Parce qu'il y a bien un an que tu n'es venu nous voir.

- J'aime mieux que ma faute consiste à me faire désirer qu'à vous assommer.

- Mais un bon ami comme toi ne m'ennuie jamais. Au contraire, plus souvent tu viendras et plus tu me feras plaisir.

- Que s'est-il passé chez toi entre-temps ?

- Bien des choses que je ne souhaitais pas.

- Je n'en suis pas surpris. Mais ta femme n'a-t-elle pas déjà accouché ?

- Il y a longtemps, et elle a eu des jumeaux.

- Qu'est-ce j'apprends ?

- C'est comme cela : et elle est déjà à nouveau enceinte.

- C'est de cette façon qu'habituellement la famille s'accroît !

- Mais si seulement le sort faisait croître ma fortune comme ma femme la famille.

- N'as-tu pas déjà casé ta fille ?

- Pas encore.

- Fais attention : il n'est pas très sûr de garder à la maison une si grande jeune fille. Il te faut chercher un gendre.

- Pas besoin. Plusieurs prétendants demandent déjà sa main.

- Que te reste-t-il donc à faire, sinon à choisir dans le nombre celui qui te va le mieux ?

- Ils sont tous du même genre si bien que je ne saurais lequel je préfère à l'autre ; mais ma fille a en horreur le mariage.

- Que dis-tu ? Mais, si je ne me trompe, elle est depuis longtemps nubile. Depuis long-temps elle est mûre pour le mariage. (Idem). (Idem).

- Comment ne le serait-elle pas, elle qui a déjà dépassé sa 17ème année ? Elle est déjà dans sa 19ème année. Elle a 18 ans.

- Pourquoi alors cette aversion pour le mariage ?

- Elle dit qu'elle veut épouser le Christ. [...]

- Qu'as-tu donc l'intention de faire ? Te mon-treras-tu complaisant au projet de ta fille ?

- Si elle persiste dans ce dessein, comme elle a commencé à le faire, je ne me battrai pas contre ce projet, de peur que je n'aie l'air de lutter avec Dieu ou plutôt avec une moniale.

- Tu parles assurément comme un homme pieux. Mais tâche de mettre toujours plus à l'épreuve la constance de cette jeune fille, pour qu'elle ne se repente pas de ce qu'elle aura fait, quand elle ne sera plus libre de changer d'avis.

- Pour ma part, je ferai tout mon possible.

- Que font tes fils ?

- L'aîné est depuis longtemps marié, il sera bientôt père. Le cadet je l'ai expédié à Paris car ici il ne faisait que s'amuser.

- Pourquoi (l'as-tu envoyé) là ?

- Pour qu'il nous revienne avec un titre de maître, plus sot qu'il n'était à son départ de la maison.

- C'est bien parlé.

- Le second a déjà fait son entrée dans le clergé.

- Je souhaite à tous une bonne réussite.

 

Alia (in integro).Débuts de conversation. Annonce de mariage et réactions.

MOPSUS (tunc occurrens),  DROMO.

Mo.   Quid fit? Quid agitur, Dromo?

Dr.   Sedetur.

Mo.  Video. Sed quomodo se res habent tuae?

Dr.   Ut solent iis, quibus superi sunt parum propitii.

Mo.  Isthuc ominis avertat Deus. Quid agis?

Dr.   Equidem otium ago. Id quod vides, nimirum nihil.

Mo.  Praestat otiosum esse, quam nihil agere. Ego te fortassis occupatum seriis negotiis interpello.

Dr.   Immo maxime vacuum. Iam enim me ceperat otii taedium, et congerronem desiderabam.

Mo.  Fortassis impedio, interrumpo, interturbo tua negotia.

Dr.   Immo taedium otii discutis.

Mo.  Da veniam, si te parum in tempore interpellavi.

Dr.   Immo ipso in tempore advenis. Opportune te huc attulisti. Optatus ades. Interventus tuus est mihi vehementer gratus. (Responsio, non uno iam praesente :)

Mo.  Fortassis aliquid seriae rei inter vos agitur, cui nolim esse impedimento.

Dr.   Immo lupus, quod aiunt, ades in fabula. Nam de te sermo erat.

Mo.  Facile crediderim nam mihi huc venienti mire tinniebat auris.

Dr.   Utra?

Mo.  Laeva. Unde coniicio, nihil magnifice de me fuisse praedicatum.

Dr.   Immo nihil non honorificum.

Mo.  Vanum igitur fuerit oportet. Sed quid est bonae rei?

Dr.   Aiunt, te venatorem esse factum.

Mo.  Immo iam intra casses meos est praeda, quam venabar.

Dr.   Quaenam?

Mo.  Lepida puella, quam perendie ducturus sum: vosque oro, ut meas nuptias vestra praesentia dignemini honestare.

Dr.   Quaenam est sponsa?

Mo.  Aloisia, Chremetis (*) filia.

Dr.   Egregium spectatorem formarum! Tuis oculis adlubuit illa, nigro capillitio, simis naribus, ore praelargo, ventre prominulo?

Mo.  Desinite. Mihi eam duxi, non vobis. Non sat est, quod suo regi pulchra est regina? Ita demum mihi illa placebit, si vobis non admodum placeat.

 

 

NOTA :

(*) Chrémès comica senis persona est. Vide Terentii Andrian, 472.

MOPSUS (venant alors à la rencontre du second), DROMO.

Comment va ? Qu'est-ce que tu racontes, Dromo ?

- On est assis.

- Je vois. Mais comment donc vont tes affaires ?

- Comme vont d'habitude celles des gens à qui le Ciel est peu propice.

- Que Dieu détourne ce mauvais présage. Que fais-tu ?

- A vrai dire je fais le désoeuvré. Tu le vois, pas grand chose.

- Il vaut mieux être oisif que de ne rien faire. Je t'interpelle peut-être quand tu es occupé à des affaires sérieuses.

- Pas du tout, je suis tout à fait vide d'occupation. Déjà le dégoût de l'oisiveté m'avait pris et je désirais de la compagnie.

- J'empêche peut-être, j'interromps, je dérange tes occupations.

- Au contraire, tu dissipes l'ennui de l'oisiveté.

- Pardonne-moi si je t'ai abordé assez mal à propos.

- Au contraire, tu arrives tout à fait à propos. Ta visite tombe très bien. Je la désirais. Ton arrivée me cause un très vif plaisir. (Réponse, si plusieurs personnes sont déjà là :)

- Peut-être y avait-il entre vous une discussion sur quelque chose de sérieux que je ne vou-drais pas gêner.

- Au contraire, on parlait du loup, comme on dit, et le voici. En effet on parlait de toi.

- Je le croirais volontiers car en venant ici, l'oreille me tintait d'une étrange manière.

- Laquelle des deux ?

- La gauche. D'où je conjecture que l'on ne disait de moi rien d'extraordinaire.

- Au contraire, on ne disait rien que d'honora-ble.

- Il faut alors que ce fût sans motif. Mais quelle est la bonne nouvelle ?

- On dit que tu es devenu chasseur.

- Mieux, la proie que je chassais est déjà dans mes filets.

- Laquelle donc ?

- Une charmante jeune fille que je suis sur le point d'épouser après-demain : et je vous prie d'avoir la bonté d'honorer mon mariage de votre présence.

- Qui est la fiancée ?

- Eloïse, la fille de Chrémès (*).

- Quel merveilleux expert en beautés !

Elle a commencé à charmer tes yeux, avec sa noire tignasse, son nez aplati, sa face trop large et son ventre bedonnant.

- Arrêtez ! C'est pour moi que je l'ai prise, non pour vous. Ne suffit-il pas que la reine soit belle pour son roi ? C'est ainsi qu'elle me plaira à moi, quand bien même elle ne vous plairait pas autant.

 

NOTE :

(*) Chrémès est un vieillard de comédie. Cf Térence, Andria, 472.

Alia.De l'amour exagéré de l'étude. Railleries, reproches et excuses.

SYRUS,   GETA (Apuleium legens).

Sy.   Opto tibi multam felicitatem.

Ge.  Et ego tibi conduplicatum opto, quicquid optas mihi.

Sy.   Quid agis rei?

Ge.  Confabulor.

Sy.   Quid? Confabulare solus?

Ge.  Ut vides.

Sy.   Proinde tibi videndum, ut cum homine probo fabuleris.

Ge.  Immo cum lepidissimo congerrone fabulor.

Sy.   Quo?

Ge.  Apuleio.

Sy.   Istud quidem nunquam non facis. Sed amant alterna Camoenae (*). Tu perpetuo studes.

Ge.  Non est ulla studiorum satietas.

Sy.   Verum, sed est tamen modus quidam. Non omittenda quidem sunt studia, sed tamen intermittenda nonnunquam. Non abiicienda sunt, sed relaxanda.

Nihil suave, quod perpetuum. Voluptates commendat rarior usus (**).

Tu nihil aliud, quam studes. Perpetuo studes. Continenter incumbis litteris. Indesinenter inhaeres chartis. Studes noctes ac dies. Nunquam non studes. Assiduus es in studio. Iugiter intentus es libris. Nullum facis studendi finem, neque modum. Nullam studiis tuis requiem intermisces. Nunquam studendi laborem nec intermittis, nec remittis.

 

Ge.  Age, tuo more facis.

Rides me, ut soles. Nunc ludis tu quidem me. Salse me rides. Satyricum agis. Naso me suspendis adunco (***). Non me fallit tuum scomma. Nunc plane ioco mecum agis. Sum tibi risui. Rideor abs te. Pro delectamento me habes. Nunc me ludos deliciasque facis. […]

Sy.   Emoriar, ni loquor ex animo. Dispeream, si quid fingo. Ne vivam, si quid simulo. Loquor id, quod sentio. Quod res est, dico. Serio loquor. Ex animo loquor. Non secus sentio, quam loquor.

 

Cur non visis?

Ge.  Quid causae est, quod tam diu nos non inviseris? Quid rei est, quod nos tam raro visis? Quid accidit, quod tanto tempore nos non adieris? Quare tam rarus es salutator? Quid sibi vult, quod nos tam diu non conveneris? Quid obstitit, quo minus visas nos frequentius? Quid impedimento fuit, quominus iam diu feceris nobis tui videndi copiam?

 

Non licuit per occupationes.

Sy.   Non licuit per otium. Volui quidem, at non licuit mihi per mea negotia. Hactenus non sinebant negotia, ut te viserem. Non patiebantur undae negotiorum, quibus involvebar, ut te salutarem. Occupatior fui, quam ut potuerim. Tam variis distringebar curis, ut mihi non fuerit liberum adire te: vix ipsi mihi fuit copia mei, sic me totum molesta quaedam negotia possidebant. Negotiis meis imputabis, non mihi. Non defuit voluntas, sed vetuit necessitas. Hactenus non vacavit. Hactenus non contigit otium. Hactenus non fuit vacuum. Non licuit per valetudinem. Non licuit per tempestatem.

Ge.  Equidem accipio tuam excusationem, sed hac lege, ne saepius utaris. Excusatio tua iustior est, quam vellem, si quidem valetudo fuit in causa. [...]

 

NOTAE :

(*) Hemistichum e Virgilii Bucolicis, 3. 59.

(**) His verbis Iuvenalis claudit satyram XI.

(***) Vide Horatii libri I Saturam VI.

SYRUS, GETA (lisant Apulée).

Je te souhaite grande félicité !

- Et moi, quoi que tu me souhaites, je t'en souhaite le double.

- Qu'est-ce que tu fabriques ?

- Je converse.

- Quoi ? Tu converses tout seul ?

- Comme tu peux voir.

- Par conséquent tu dois veiller à converser avec un honnête homme.

- Mais c'est avec un très agréable compagnon que je fais la conversation.

- Qui ?

- Apulée.

- Tu passes à cela tout ton temps. Mais les Muses aiment les chants alternés (*). Tu étudies constamment.

- On n'est jamais rassasié de l'étude.

- C'est vrai, mais il y a quand même une limite. On ne doit pas, certes, négliger l'étude mais il faut quelquefois l'interrompre. (idem).

 

Aucun plaisir n'est doux s'il est perpétuel. Un plaisir est plus grand s'il est plus rare (**).

Tu ne fais rien d'autre que d'étudier. Tu étudies sans cesse. Tu es continuellement en train d'étudier. Tu es sans arrêt plongé dans les écrits. Tu étudies jour et nuit. Tu étudies toujours. Tu es continuellement en train d'étudier. Tu es perpétuellement plongé dans les livres. Tu étudies sans arrêt et sans modération. Tu ne donnes aucun récréation à tes études. Jamais tu n'interromps ni ne remets à plus tard ton travail intellectuel.

- Allez ! tu me l'as déjà dit.

Tu te moques de moi, comme d'habitude. Voilà que tu te moques de moi. (Idem).(Idem). Tu me ris au nez (Tu me suspends par la courbure de mon nez) (***). Je ne suis pas dupe de ta raillerie. Voilà que tu ris à mes dépens. (Idem quater). […]

 

- Que je meure si je ne dis pas ce que je pense. Que je meurs si je fais un mensonge. (Idem). Je dis ce que je pense. Je dis ce qui est. Je parle sérieusement. Je parle comme je pense. Je ne pense pas autrement que je parle.

Pourquoi n'es-tu pas venu nous voir ?

Quel motif / quel événement t'a empêché depuis si longtemps de venir nous voir ?

(Même idée répétée avec des mots différents).

 

 

 

 

 

Des occupations ne nous en ont pas laissé le loisir.

Je n'ai pas pu parce que je me reposais. Certes je l'ai désiré, mais mes affaires ne me l'ont pas permis. Mes affaires ne me permettaient pas de venir te voir jusqu'à maintenant. J'étais trop submergé par les affaires qui m'occupaient pour te rendre visite. J'ai été trop occupé pour en avoir la possibilité. J'étais accablé de tant de soucis de toutes sortes que je n'ai pas eu la liberté d'aller te voir : c'est à peine si je fus libre de ma propre personne ; j'étais absorbé à ce point par certaines affaires ennuyeuses. Tu imputeras (ce retard) à mes affaires, non à moi. Ce n'est pas la volonté qui m'a manqué, c'est la nécessité qui m'en a empêché. Jusqu'à ce jour, je n'ai pas eu un moment de libre. (Idem). (Idem). J'en ai été empêché par ma santé. Par le mauvais temps.

- Bien sûr j'accepte tes excuses, mais à cette condition que tu n'en useras pas trop souvent. Tes excuses sont plus justes que je n'aurais voulu, si c'est bien ta santé qui fut en cause. [...]

NOTES :

(*) Hémistiche tiré des Bucoliques, 3. 59.

(**) Juvénal conclut la satire XI par ces mots.

(***) Cf la satire VI du 1er livre d'Horace.