II. PERCONTANDI FORMA IN PRIMO CONGRESSU (sequitur)

QUESTIONNEMENT-TYPE DANS UNE RENCONTRE (suite)

 

Percontandi reducem. – Questionnement d'un voyageur à son retour (de France).

Ge.  Fuitne tibi hoc iter faustum et commodum?

Li.   Sic satis: nisi quod nihil usquam tutum est a latronibus. [...] 

Ge.  Pedes advenis, an eques?

Li.   Partim pedestri itinere, partim vehiculo, partim equo, partim navigio.

Ge.  Quo in statu sunt res Gallicae?

Li.   Sane turbulento. Magnae bellorum minae sunt (*). Quid mali allaturi sint hostibus, nescio. Certe Galli iam ipsi non dicendis malis affliguntur.

Ge.  Unde proficiscuntur isti bellorum tumultus?

Li.   Unde, nisi ex ambitione monarcharum?

Ge.  At horum prudentia conveniebat (1) sedari rerum humanarum tempestates.

Li.   Sedant illi quidem, sed ut Auster mare. Persuadent sibi, se deos esse, suaque causa mundum hunc esse conditum.

Ge.  Immo princeps reipublicae gratia constituitur, non respublica principis causa. [...] 

Ge.  Ista publica fatis curanda relinquamus. Tuae res quo tandem in statu sunt?

Li.   Optimo, felici, mediocri, tolerabili.

Ge.  Quo pacto se res habent tuae? num ex voto?

Li.   Immo supra votum, supra meritum, supra spem.

Ge.  Satin' ex sententia? Satin' salva omnia? Satisne prospera omnia?

Li.   Res in peiore statu esse non potest. Peiore in loco negotium non potest esse.

[...] 

Ge.  Ergo spe alendus est animus.

Li.   Sed hac non saginatur venter. Qui spe aluntur, pendent, non vivunt.

Ge.  Attamen hoc eras ad iter expeditior, quod nihil esset oneris in zona.

Li.   Fateor; atque etiam tutior. Nulla enim sunt arma certiora adversus latrones. Sed ego malim et onus et periculum.

Ge.  Nihilne tibi ademptum est in via?

Li.   Mihine? Quaeso quid eripias nudo? Aliis citius periculum erat a me. Licuit mihi vacuo viatori per totum iter canere et esurire. Numquid vis?

Ge.  Quo nunc hinc abis?

Li.   Recta domum, salutaturus penates iamdiu non visos.

Ge.  Precor, ut illic offendas omnia laeta.

Li.   Utinam ita velint superi. Nihil interim extitit novi domi nostrae?

Ge.  Nihil, nisi quod reperies auctam familiam. Nam tua Catulla peperit tibi catulum absenti. Tua gallina peperit tibi ovum.

Li.   Bene nuntias. Grata nuntias. At ego tibi pro istoc nuntio polliceor evangelium.

Ge.  Quodnam? Secundum Matthaeum?

Li.   Non, sed secundum Homerum (**). En, accipe.

Ge.  Tibi serva tuum evangelium. Mihi saxorum satis est domi.

Li.   Ne sperne munusculum. [...] 

Ge.  Quid ais? Est mihi sane gratissimum. Dispiciam, unde possim hoc donum pensare. [...] 

 

NOTAE :

(*) Ad bellicosa Francisci primi regis incepta Erasmus alludit (lege dialogum sequentem).

(**) Ultra jocum, meminisse oportet illo tempore tales libros haud parvi putatos esse - certe a litteratis - nec parvo constitisse. Vivant libri sinibus conformati nostri !

 

Ge.  Ton voyage a-t-il été heureux et favorable ?

Li.   Oui, assez : si ce n'est qu'on n'est nulle part à l'abri des voleurs. [...] 

Ge.  Es-tu venu à pied ou à cheval ? (ad verbum : "(comme) marcheur ou cavalier" ?)

Li.   J'ai fait une partie du chemin à pied, une partie en voiture, une partie à cheval, une partie en bateau.

Ge.  Quelle est la situation en France ?

Li.   Elle est pour le moins agitée. Il y a de grandes menaces de guerre (*). Le mal que les Français pourront faire à leurs ennemis, je l'ignore. Mais ils sont déjà eux-mêmes éprouvés par des maux indicibles.

Ge.  D'où provient tout ce fracas de guerre ?

Li.   D'où, sinon de l'ambition des souverains.

Ge.  Mais il eût convenu que toutes ces tempêtes humaines fussent calmées par leur sagesse. (1) Indicatif imparf. irréel ; cf Sauzy § 346.

Li.   Certes ils les calment, mais comme le vent du Midi calme la mer. Ils se persuadent qu'ils sont des dieux et que c'est pour eux que le monde a été créé.

Ge.  C'est le contraire : la dignité de Prince a été créée dans l'intérêt de l'Etat, non l'Etat dans l'intérêt du Prince. [...] 

Ge.  Laissons toutes ces histoires politiques dont c'est à la destinée de s'occuper. Tes affaires à toi, dans quel état sont-elles ?

Li.   Excellent, heureux, médiocre, passable.

Ge.  Comment marchent tes affaires ? Est-ce selon ton désir ?

Li.   Bien mieux, mieux que je ne désirais, que je ne méritais, que je n'espérais.

Ge.  Suffisamment comme tu veux ? Est-ce que tout va bien assez ? Tout prospère-t-il ?

Li.   Ma situation ne peut pas être pire qu'elle n'est. Mes affaires ne peuvent pas être dans un pire état.

Ge.  Alors il te faut vivre d'espoir.

Li.   Mais l'espoir n'engraisse pas. Ceux qui se nourrissent d'espoir restent en suspens, ils ne vivent pas.

Ge.  Cependant tu étais plus leste pour la route, en n'ayant aucun fardeau à la ceinture.

Li.   Je te l'accorde ; et (j'étais) même plus en sécurité car il n'est pas de meilleure protection contre les voleurs. Mais je préférerais et le fardeau et le péril.

Ge.  On ne t'a rien pris en chemin ?

Li.   A moi ? Que veux-tu prendre à un homme qui n'a rien ? C'est plutôt moi qui étais un danger pour les autres. J'eus la liberté, voyageur sans le sou, de chanter et d'avoir faim tout le long de la route. Que veux-tu de plus ?

Ge.  Et où vas-tu maintenant de ce pas ?

Li.   Tout droit chez moi, saluer mes pénates que je n'ai pas vus depuis longtemps.

Ge.  Je souhaite que tu ne trouves là-bas que des motifs de bonheur.

Li.   Puisse le Ciel le vouloir ainsi. N'est-il rien arrivé de nouveau dans notre maison ?

Ge.  Rien, si ce n'est que tu trouveras ta famille augmentée. Car ta petite chienne t'a fait un chiot en ton absence. Ta poule t'a pondu un œuf.

Li.   Voilà d'heureuses nouvelles. Voilà d'agréables nouvelles. De mon côté, pour cette nouvelle, je t'offre un évangile.

Ge.  Lequel ? Selon Matthieu ?

Li.   Non, selon Homère (**). Tiens, le voici.

Ge.  Garde ton évangile pour toi. Dans ma maison, les pierres me suffisent.

Li.   Ne refuse pas un petit cadeau. [...] 

Ge.  Qu'est-ce que tu racontes ! Il m'agrée tout à fait. Je réfléchirai à la manière dont je pourrai te rendre cette gentillesse. [...] 

 

NOTES :

(*) Erasme fait allusion aux projets de guerre du roi François Ier (cf le dialogue suivant).

(**) Au-delà de la plaisanterie, il faut avoir à l'esprit qu'à cette époque, de tels livres n'étaient pas peu estimés (du moins par les lettrés) et ne coûtaient pas une petite somme. Vivent nos livres de poche !

 

 

Alia (in integro). - Autres questions à quelqu'un qui revient de France.

CLAUDIUS, BALBUS.

Cl.   Gratulor tibi reduci, Balbe.

Ba.  Et ego tibi superstiti, Claudi.

Cl.   Gratulor tibi in patriam reverso.

Ba.  Immo gratulare magis e Gallia profugo.

Cl.   Quid ita?

Ba.  Quia illic bellis fervent omnia.

Cl.   Quid Musis (*) cum Marte?

Ba.  Atqui illic ne Musis quidem parcitur.

Cl.   Tu igitur feliciter elapsus es.

Ba.  At non sine periculo.

Cl.   Totus alius nobis redisti.

Ba.  Qui sic?

Cl.   Ex Hollando versus es in Gallum.

Ba.  Quid? an capus eram, cum hinc abirem?

Cl.   Vestis indicat te mutatum ex Batavo in Gallum.

Ba.  Hanc metamorphosin malim, quam in gallinam. Sed ut cuculla (**) non facit monachum, ita nec vestis Gallum.

Cl.   Iamne calles Gallice?

Ba.  Sic satis.

Cl.   Quo pacto didicisti?

Ba.  Magistris haudquaquam mutis.

Cl.   Quibus?

Ba.  Mulierculis, quovis turture loquacioribus.

Cl.   In tali ludo facile discimus loqui. Sonasne probe sermonem Gallicum?

Ba.  Immo et Latinum sono Gallice.

Cl.   Nunquam igitur scribes bona carmina.

Ba.  Cur ita?

Cl.   Quia periit tibi syllabarum quantitas (***).

Ba.  Mihi satis est qualitas.

Cl.   Quid? estne Lutetia immunis a pestilentia?

Ba.  Non est, sed perpetua non est: aliquando remittit sese, mox recrudescit; nonnunquam intermittitur, deinde recipit sese.

Cl.   Non sat erat malorum, ubi bellum est?

Ba.  Erat, nisi secus esset visum superis.

Cl.   Annonae caritatem istic esse oportet.

Ba.  Immo penuriam. Omnium rerum illic inopia est, praeterquam sceleratorum militum. Bonorum virorum illic est mira vilitas.

Cl.   Quid accidit Gallis, ut bellum suscipiant cum aquila? (****)

Ba.  Quia movet illos exemplum scarabei, qui non cessit aquilae. In bello nemo sibi non videtur Hercules.

Cl.   Non te remorabor diutius. Alias latius nugabimur, cum erit utrique commodum. Nunc alio me vocant negotiola quaedam.

  

NOTAE :

(*) Erasmus ad ea multa Francogallorum regum illius temporis incepta ut litterae et artes magis in terra sua colerentur alludit. Ipse frustra eo invitatus est a Guillelmo Budé, claro "humanista" qui, Francisco I rege favente, Collegium Trium Linguarum (Latinae, Graecae, Hebraicae) deinde vocatum Collegium Galliae fundavit.

(**) Cucullis vestiebantur monachi in choro canentes.

(***) Lege commentaria nostra in hoc situ edita q.i. Quomodo recte enuntientur verba Latina et Pourquoi et comment écrire des vers latins aut quovis libro grammatico.

(****) "Cum aquila", id est, cum Carolo Quinto, Caesare Romanorum, cuius insigne erat aquila. Ita enim vocabatur rex "Sancti Imperii Germanicae Nationis" ab anno 1508. Bellum inter Franciam et Imperium a.1559 tractatu Castelli-Cambresis finietur.

Cl.   Je te félicite de ton retour, Balbus.

Ba.  Et moi je te félicite d'être encore là, Claudius.

Cl.   Mes compliments pour ton retour au pays.

Ba.  Félicite plutôt un rescapé de la France.

Cl.   Pourquoi cela ?

Ba.  Parce que là-bas tout est en guerre.

Cl.   Qu'est-ce que les Muses (*) ont à faire avec Mars ?

Ba.  Mais dans ce pays-là on ne fait même pas grâce aux Muses.

Cl.   Alors tu as de la chance de t'en être échappé.

Ba.  Cela n'a pas été sans péril.

Cl.   Tu nous reviens tout autre.

Ba.  A savoir ?

Cl.   De Hollandais tu es devenu (coq) gaulois. (Célèbre jeu de mot "gallus-Gallus")

Ba.  Comment ? Etais-je un chapon lorsque je suis parti d'ici ?

Cl.   Ton vêtement montre que de Hollandais tu t'es changé en coq gaulois.

Ba.  J'aimerais mieux cette transformation que d'être changé en poule. Mais tout comme la coule (**) ne fait pas le moine, l'habit ne fait pas le Français.

Cl.   Es-tu fort maintenant en français ?

Ba.  Oui, assez.

Cl.   Comment l'as-tu appris ?

Ba.  Avec des maîtres nullement silencieux.

Cl.   Lesquels ?

Ba.  Avec des jeunes femmes – elles sont plus bavardes que n'importe quelle tourterelle.

Cl.   A pareille école nous apprenons à parler avec facilité. Prononces-tu bien le français ?

Ba.  Mieux, je prononce le latin à la française.

Cl.   Alors tu ne feras jamais de bons vers (latins).

Ba.  Pourquoi cela ?

Cl.   Parce que la quantité des syllabes n'existe plus pour toi (***).

Ba.  La qualité me suffit.

Cl.   Hé bien ! Paris est-il exempt de la peste ?

Ba.  Non, mais elle n'y est pas continuelle : elle est tantôt en regression, tantôt en recrudescence ; il y a de temps en temps des répits, puis elle reprend.

Cl.   N'y avait-il pas assez de malheurs avec la guerre ?

Ba.  Certainement, si le Ciel n'en avait jugé autrement.

Cl.   Il doit y avoir en pareil endroit une grande cherté des vivres.

Ba.  Dis plutôt une pénurie. On manque de tout là-bas, sauf de soldats scélérats. Tandis qu'on y fait bon marché des honnêtes gens.

Cl.   Qu'est-ce qui a pris les coqs gaulois d'entreprendre une guerre contre l'aigle? (****)

Ba.  Parce qu'ils sont inspirés par l'exemple du scarabée, qui n'a pas cédé à l'aigle. Dans une guerre, tout le monde se prend pour Hercule.

Cl.   Je ne te retarderai pas plus longtemps. Nous plaisanterons plus à notre aise ailleurs, quand ce sera commode pour l'un et l'autre. A présent quelques petites affaires m'appellent ailleurs.

 

NOTES :

(*) Erasme fait allusion aux nombreuses entreprises des rois de France de ce temps-là pour le développement des lettres et des arts dans leur pays. Lui-même y fut invité en vain par Guillaume Budé, le célèbre humaniste qui fonda avec la faveur du roi François 1er le Collège des Trois Langues (latine, grecque, hébraïque) appelé ensuite Collège de France.

(**) La coule est le nom d'un grand manteau avec capuchon porté par les moines dans le choeur.

(***) Cf nos articles édités dans ce site et intitulés Quomodo recte enuntientur verba Latina et Pourquoi et comment écrire des vers latins ou n'importe quel livre de grammaire.

(****) "Avec l'aigle", autrement dit avec Charles Quint, Empereur des Romains, dont l'insigne était l'aigle. C'est en effet le titre que prenait le roi du "Saint Empire de la Nation Germanique" depuis 1508. La guerre entre la France et l'Empire s'achèvera en 1559 avec le traité de Cateau-Cambrésis.