X. LUSUS PUERILES

JEUX D'ENFANTS

De lusu (in integro). Jouer.

NICOLAUS,  HIERONYMUS,  COCLES,  PAEDAGOGUS.

Ni.    Iamdudum et animus, et coelum, et dies invitat ad ludendum.

Hi.    Invitant quidem haec omnia, sed solus praeceptor non invitat.

Ni.    Subornandus orator quispiam, qui veniam extorqueat.

Hi.    Apte quidem dictum, extorqueat. Nam citius clavam extorseris e manu Herculis, quam ab hoc ludendi veniam. At olim illo nemo fuit ludendi avidior.

Ni.    Verum; sed iam olim ille oblitus est, se fuisse puerum. Ad verbera facillimus est et liberalis: hic parcissimus, idemque difficillimus.

Hi.    Attamen protrudendus est aliquis legatus, non admodum verecundae frontis, quem non illico protelet suis saevis dictis.

Ni.    Eat, qui volet: ego carere malo, quam rogare.

Hi.    Nemo magis accommodus ad hanc legationem, quam Cocles.

Ni.    Nemo profecto. Nam perfrictae frontis est, ac bene linguax. Deinde sensum hominis pulchre callet.

Hi.    I, Cocles, ab omnibus nobis magnam initurus gratiam.

Co.   Equidem experiar sedulo. Verum si non successerit, ne conferte culpam in oratorem vestrum.

Hi.    Bene ominare: si te satis novimus, impetrabis. Abi orator, redibis exorator.

Co.   Eo. Bene fortunet legationem meam Mercurius.

Salve praeceptor.

Pae.  Quid sibi vult nugamentum hominis?

Co.   Salve praeceptor observande.

Pae.  Insidiosa civilitas. Satis iam salveo. Dic, quid velis.

Co.   Totus discipulorum tuorum grex orat ludendi veniam.

Pae.  Nihil aliud quam luditis, etiam absque venia.

Co.   Scit tua prudentia, vigorem ingeniorum excitari moderato lusu, quemadmodum nos docuisti ex Quintiliano.

Pae.  Sane ut istuc tenes, quod pro te facit. Laxamento opus est iis, qui vehementer laborant: vobis, qui segniter studetis, et acriter luditis, freno magis opus est, quam laxatis habenis.

Co.   Adnitimur pro viribus. Et si quid hactenus cessatum est, post diligentia sarcietur.

Pae.  Oh sartores! Quis erit fideiussor aut sponsor, istuc futurum?

Co.   Ego capitis mei periculo non dubitem esse sponsor.

Pae.  Imo culi periculo potius . Scio, quam non sit tutum tibi credere; tamen hic periculum faciam, quam sis bonae fidei. Si dederis verba, posthac necquicquam mecum egeris.

Ludant, sed gregatim in campis. Ne divertant ad compotationes, aut alia nequiora. Mature se recipiant domum ante solis occubitum.

Co.   Fiet.

(Ceteris pueris) Exoravi, quamquam aegre.

Hi.    O lepidum caput! omnes amamus te plurimum.

Co.   Sed interim cavendum, ne quid peccemus; alioqui de atro tergo dependendum foret. Fideiussi vestro omnium nomine. Quod si quid accidat, non est, quod me posthac utamini legato.

Hi.    Cavebitur. Sed quod lusus genus potissimum placet?

Co.   De hoc in campo consultabimus.  

 

 

Ni.    Il y a longtemps que notre envie, le temps qu'il fait et le moment nous invitent à jouer.

Hi.    Sans doute, tout cela nous y invite, mais le maître est le seul qui ne nous y invite pas.

Ni.    Il nous faut suborner quelque avocat qui lui arrache cette permission.

Hi.    "Arracher", c'est le mot assurément. Car on arracherait plutôt la massue de la main d'Hercule que de celui-là la permission de jouer. Pourtant autrefois, aucun autre que lui n'était plus avide de jouer.

Ni.    C'est vrai ; mais il a oublié depuis longtemps qu'il a été jeune. Pour les coups, il est très large et très généreux, mais pour cela, il est très chiche et très grincheux.

Hi.    Il faut quand même lui envoyer un ambassadeur qui ne présente pas un air trop timide et qui ne se trouble pas aux premières paroles sévères qu'il entendra.

Ni.    Y aille qui voudra : moi je préfère ne rien avoir que de rien lui demander.

Hi.    Personne n'est plus capable que Coclès de remplir cette mission.

Ni.    Personne, c'est sûr ! car c'est un beau parleur. Et puis il connaît parfaitement le bonhomme.

Hi.   Vas-y, Coclès ; nous t'en serons tous grandement reconnaissant.

Co.   Je veux bien essayer comme je peux. Mais si je ne réussis pas, ne rejetez pas la faute sur votre orateur.

Hi.    Aie bon espoir : si nous te connaissons bien, tu seras exaucé. Pars avec un beau discours et tu reviendras avec un beau succès.

Co.   J'y vais. Puisse Mercure aider au succès de ma mission !

Bonjour, maître.

Pae.  Que veut dire cette ânerie ?

Co.   Bonjour très vénérable maître.

Pae.  Voilà une insidieuse politesse ! Je me porte déjà assez bien. Dis ce que tu voudrais.

Co.   Tout le groupe de vos élèves vous prie de lui accorder la permission de jouer.

Pae.  Mais vous ne faites que jouer, même sans ma permission !

Co.   Votre sagesse sait qu'une récréation modérée entretient la vigueur de l'intelligence, comme vous nous l'avez enseigné d'après Quintilien..

Pae.  Selon le sens, évidemment, que tu donnes à ta citation et qui te va bien ! Ont besoin de relâchement ceux qui travaillent avec ardeur ; mais vous qui étudiez avec mollesse et qui jouez avec fougue, c'est d'un frein dont vous avez besoin plus que de rênes relâchées.

Co.  Nous faisons les efforts que nous pouvons. Et s'il y a eu du relâchement jusqu'à présent, notre zèle, dorénavant, va le réparer.

Pae.  Quels bons réparateurs! Quel sera le garant, qui répondra de votre promesse ?

Co.   Moi, je n'hésiterais pas à en répondre sur ma tête.

Pae. Ou plutôt au péril de tes fesses (ad verbum: "de ta peau"). Je sais combien il est peu sûr de te faire confiance ; cependant je ferai ici l'épreuve de ta bonne foi. Si tu ne m'as donné que des paroles, tu n'auras plus rien à faire avec moi.

Jouez donc, mais en groupes, dans les prairies. Qu'on ne s'en écarte pas pour aller boire ou faire des choses pires encore. Rentrez de bonne heure au logis, avant le coucher du soleil.

Co.   Soit.

(Aux autres) J'ai réussi, bien qu'avec peine.

Hi.    Oh l'adorable caboche ! Nous t'adorons tous !

Co.   Mais en attendant, attention à ne pas faire de bêtises ! autrement, c'est mon pauvre dos qui en répondrait. Je me suis porté garant pour vous tous. S'il arrive quelque chose, ne comptez plus sur moi ensuite pour être votre ambassadeur.

Hi.    On y veillera. Mais quel genre de jeu vous plaît le mieux ?

Co.  Nous verrons cela dans la prairie.

 

 

Saltus (in integro). – Sauter, courir, nager.

VINCENTIUS,  LAURENTIUS.

Vi.    Libetne decertare saltu?

La.   Ludus iste non convenit pransis.

Vi.    Quam ob rem?

La.   Quia ventris saburra gravat corpus.

Vi.    Non admodum sane, qui pransi sint in paedagogio. Nam ibi plerumque coenaturiunt prius, quam absolverint prandium.

La.   Quod igitur saliendi genus placet?

Vi.    Quod igitur saliendi genus placet? vi. Auspicemur ab eo, quod est simplicissimum, a saltu locustarum, sive magis ranarum, utraque tibia, sed iunctis pedibus. Qui longissime promoverit cingulum, coronam feret. Huius ubi erit satietas, aliud atque aliud genus experiemur.

La.   Equidem nullum recusabo genus, nisi quod geritur cum periculo tibiarum: nolim mihi rem esse cum chirurgis.

Vi.    Quid, si certemus unica tibia?

La.   Iste ludus est Empusae (*), valeat.

Vi.    Hastae innixum salire, cumprimis est elegans.

La.   Liberalius est certare cursu: siquidem hoc certaminis genus apud Virgilium proposuit et Aeneas.

Vi.    Verum; sed idem proposuit et caestuum (**) certamen, quo non delector.

La.   Designa stadium. Hoc loco sit carcer, quercus ista sit meta (***).

Vi.    Sed utinam adesset Aeneas, qui proponat et praemia victori.

La.   Victori abunde magnum praemium est gloria.

Vi.    Victo potius dandum erat praemium, solatii gratia.

La.   Sit igitur victo praemium, ut lappa coronatus redeat in urbem.

Vi.    Equidem non recusarim, si tu praecedas tibia canens.

La.   Est ingens aestus.

Vi.    Nec mirum, cum sit solstitium aestivum.

La.   Praestiterat natare.

Vi.    Mihi non placet ranarum vita. Animal sum terrestre, non amphibion.

La.   Sed tamen hoc exercitamenti genus olim cumprimis habebatur liberale.

Vi.    Immo etiam utile.

La.   Ad quid?

Vi.    Si fugiendum sit in bello, ibi potissimum valent, qui sese cursu pedum et natatu exercuerunt.

La.   Artem narras haudquaquam aspernandam. Neque enim minus laudis est aliquando bene fugere, quam fortiter pugnare.

Vi.    Sum plane rudis et imperitus natandi, nec sine periculo versamur in alieno elemento.

La.   Sed assuescere oportet: nemo nascitur artifex.

Vi.    At ego istius generis artifices permultos audio natasse, sed non enatasse.

La.   Experieris primum innixus suberi.

Vi.    Nec suberi fido magis quam pedibus: si vobis cordi est natatio, spectator esse malo, quam certator.  

 

NOTAE :

(*) Empusa spectrum, quod unica tibia apparet.

(**) Ita vocabantur taeniolae corii plumboque praefixae quibus pugilum manus involvebantur.

(***) Carceres (sc. equorum, curruum), meta : horum vocabulorum significat alterum saepta unde equi se proripiebant, alterum id signum quo circuito, in dimidio cursu, ad initium revertebantur.

 

Te plaît-il que nous nous mesurions au saut ?

- Ce jeu-là ne convient pas à ceux qui viennent de déjeuner.

- Pour quelle raison ?

- Parce que le lest du ventre alourdit le corps.

- Ce n'est pas tout à fait vrai pour ceux qui ont déjeuné à l'école. Car la plupart du temps ils ont envie de dîner avant d'avoir fini leur déjeuner.

- Alors, quel genre de saut préfères-tu ?

- Quel genre de saut alors je préfère ? Sauter de vive force. Nous commencerons d'abord par le plus simple, celui des sauterelles ou plutôt des grenouilles, avec les deux jambes mais à pieds joints. Celui qui aura projeté sa ceinture le plus loin aura la couronne du vainqueur. Quand nous en aurons assez de ce genre-là, nous en essaierons un autre et encore un autre.

- Moi je ne reculerai devant aucun genre, excepté celui qui mettrait mes tibias en danger: je ne veux pas avoir affaire aux chirurgiens.

- Et si nous luttions sur une seule jambe ?

- C'est le jeu de l'empuse (*), merci bien.

- Le saut à la perche est des plus gracieux.

- Il est plus noble de se mesurer à la course : c'est le genre de concours dont on voit Enée faire la proposition, dans Virgile.

- C'est vrai ; mais il proposa aussi la lutte du ceste (**) dont je ne raffole pas.

- Représente-toi le terrain de course. Le départ sera ici où nous sommes et la borne au chêne (***).

- Mais plût à Dieu qu'Enée fût présent, afin de proposer aussi des récompenses pour le vainqueur.

- Pour le vainqueur, la gloire est une récom-pense amplement belle.

- C'est plutôt au vaincu qu'il faudrait donner une récompense, pour le consoler.

- Que le vaincu ait donc pour récompense de rentrer en ville couronné de bardane.

- Pour sûr, je ne refuserais pas si tu voulais le précéder toi-même en jouant de la flûte.

- Il fait très chaud.

- Ce n'est pas étonnant, puisque nous sommes au solstice d'été.

- Il eût mieux valu nager.

- La vie des grenouilles ne me convient pas. Je suis un animal terrestre, pas amphibie.

- Cependant, ce genre d'exercice était considé-ré autrefois comme parmi l'un des plus nobles.

- Et même utile.

- A quoi ?

- S'il faut prendre la fuite à la guerre, les meilleurs à ce moment-là sont ceux qui se sont entraînés à la course à pied et à la natation.

- Ce talent dont tu parles n'est pas du tout à négliger. Car il n'y a pas moins de gloire, parfois, à bien battre en retraite qu'à combattre courageusement.

- Je suis tout à fait novice et inexpérimenté en natation, et ce n'est pas sans danger que nous nous confions à un élément qui n'est pas le nôtre.

- Mais il faut s'y accoutumer : personne ne naît artiste.

- Pour moi, j'entends dire que beaucoup d'artistes de ce genre ont nagé, mais n'ont pas surnagé.

- Tu essaieras d'abord soutenu par du liège.

- Je ne me fie pas plus au liège qu'à mes pieds: si vous avez à cœur de nager, j'aime mieux être spectateur qu'acteur.

 

NOTES :

(*) Apparition fantômatique qui n'a qu'une jambe.

 

(**) On appelait ainsi les gants formés de lanières de cuir garnies de plomb dont les boxeurs s'enveloppaient les mains.

(***) Carceres, meta : ces mots désignent l'un les cages d'où s'élançaient les chevaux, l'autre le signe qu'ils contournaient, au milieu de la course, pour revenir à leur point de départ.